Publié le 22/10/2024
Mis à jour le 01/12/2024
Durée de lecture estimée : 11 minutes
Akram
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Star Trak Entertainment
« Star Trak Riders Yeah ! »
Pharrell sur I Ain’t Heard of That de Slim Slug
Précédemment :
Partie 1 -> Introduction
Partie 2 -> Ma Rencontre avec The Neptunes
Partie 3 -> Teddy Riley
Partie 4 -> Chad
Partie 5 -> Pharrell
Partie 6 -> N*E*R*D
L’un des points intéressants concernant The Neptunes c’est qu’en plus d’être des prodos et des artistes accomplis, très tôt ils ont décidé d’être des entrepreneurs dans l’industrie du disque et ont donc décidé de créer leur propre label, Star Trak Entertainement, hommage non dissimulé à leur série préférée.
Avant de parler des artistes, parlons de la vie du label et des différents accords successifs.
Celui-ci est créé en 2001 avec l’aide d’Arista, maison de disque dont Sony est le propriétaire et qui aura permis aux Neptunes de devenir les producteurs qu’ils sont. La vie suit son cours, jusqu’à ce que le duo décide de changer de distributeur en 2004 et s’associe à Virgin Records pour continuer l’aventure.
Suite au succès de Rhythm & Gangsta de Snoop Dogg, qui deviendra disque de platine, dont ils sont les producteurs exécutifs et qui sortira conjointement sur Star Trak et Doggystyle Records, le label de Snoop Dogg, ils finissent par se rapprocher fin 2004 avec Geffen Records et Interscope Records.
Interscope étant encore aujourd’hui une place forte pour tout ce qui est micro label comme Aftermath de Dr Dre ou bien encore Shady Records d’Eminem.
Tout ça pour dire que Star Trak entre 2001 et 2004 n’a cessé de grandir en accumulant les succès, en l’espace de 3 ans ils sortiront 6 projets, 5 finiront disques d’or, c’est-à-dire plus de 500 000 ventes et Rhythm & Gangsta de Snoop finira donc disque de platine en dépassant le million assez rapidement.
Notez que tous les albums des N*E*R*D sont sorties sur Star Trak, exception du dernier en 2017 qui est sorti via la plateforme I am OTHER de Pharrell vu que Star Trak a été définitivement supprimé en 2014.
Je vais essayer de vous présenter la discographie du label en parlant des artistes qui le composait.
The Clipse
L’un des points les plus intéressants de Star Trak à mes yeux est que The Neptunes en tant que CEO du délire ont indéniablement cherché à mettre en avant leurs amis. L’exemple parfait étant la première sortie du label après leur In Search Of… avec N*E*R*D : Lord Willin des Clipse, album monumental, mettant en avant deux potes à eux de Virginia Beach, Malice et Pusha T.
Petit aparté tout de même, avant Lord Willin’ il est bon de rappeler que les Clipse s’étaient associés aux Neptunes en 1999 pour un album jamais sorti officiellement : Exclusive Audio Footage, déjà entièrement produit par Chad et Pharrell. L’album ne plait pas à leur maison de disque de l’époque, Elektra Records, car trop sombre
Exclusive Audio Footage fera son apparition sur les internets de manière illégale en 2004. Il faudra attendre 2022 afin que la maison de disque décide de le mettre sur les plateformes de streaming.
Donc revenons à Lord Willin’, l’album qui est donc le premier officiel des Clipse sort en 2002 et c’est indéniablement une révolution dans le monde du Rap US. Aujourd’hui, 20 ans après, on peut même parler de classique tant c’était incroyablement nouveau et en avance sur son temps. J’ai déjà parlé de Grindin, beats épurés au possible, un drum percutant mais minimaliste tout du long et une rythmique tout simplement dingue, le tout sublimé par deux MC inconnu du public à l’époque mais qui ont marqué 2002 de leurs empreintes. Il est important de rappeler l’impact que fut l’arrivée de ce morceau sur les ondes américaines mais plus large aussi car ce fut une onde de choc un peu partout. Des Neptunes qui se renouvèlent et donnent le meilleur d’eux même à des amis proches, l’histoire est belle.
Dans le livre The Rap Yearbook de Shea Serrano, une référence pour ce qui concerne le monde du Rap, j’irai même jusqu’à dire que c’est une lecture obligatoire avec le Can’t Stop Won’t Stop de Jeff Chang, Shea Serrano dira tout simplement que Grindin’ est le morceau de Rap le plus important de l’année 2002, ce que je ne peux que cosigner.
Pusha dira d’ailleurs de l’album pour le site Life and Times
« C'était un disque dont je savais qu'il serait bien trop innovant »
Je ne suis pas spécialement un bon critique mais cet album est pour beaucoup ce qu’ont fait de mieux The Neptunes, la trace est indélébile encore plus aujourd’hui. Pourquoi ? Parce qu’ils ont su faire évoluer leur son tout en gardant le Neptunes Sound, je ne sais pas si vous voyez ce que je veux dire. L’album innove, tente des choses mais une fois qu’on se pose on se dit, cette caisse et ce kit de drum c’est du Neptunes, cette légère touche de saxophone sur Young Boy c’est indéniablement Chad. A y regarder de plus près et avec le recul, l’album fut même marquant pour toute une génération de rappeurs.
Pour l’anecdote, Jay-Z avait eu la chance d’écouter le beat de Grindin’ avant que celui-ci finisse sa route sur Lord Willin’. Il veut immédiatement le beat, ce à quoi The Neptunes lui répondent, désolé mais nous savons déjà pour qui est fait cette production.
Dû à des problèmes de label lorsque Star Trak a rejoint Interscope, les Clipse ont dû rester chez Jive et il faudra attendre 4 ans afin d’avoir le second opus du duo, Hell Hath No Fury, toujours entièrement produit par The Neptunes.
Pusha expliquera d’ailleurs la situation parfaitement au site allhiphop, ce qui expliquera le mood très sombre de ce second album
« On était prêt à entrer dans le vif du sujet après le succès du premier album. Les chansons que nous avions faites étaient vraiment chaudes mais à ce moment-là, nous étions dans un endroit différent des Neptunes, nous n’étions plus heureux. Le temps a passé et on a vu que c'était un gros hold up (de Jive). Nous ne pouvions pas sortir un album dans le même état d'esprit que nous l'avons fait dans Lord Willin’ alors que nous étions en colère et énervés »
Lors de son passage chez Drink Champs, Pharrell expliquera d’ailleurs que tout cette situation l’a empêché de travailler avec Justin Timberlake après la sortie de Testified, le premier album solo de Timberlake sur lequel les Neptunes signent la moitié des productions car lui aussi cette situation l’a embrouillé avec Jive, la maison de disque de Justin Timberlake…
Il est souvent difficile de faire aussi bien voire moins qu’un excellent disque mais il semblerait que les merdes qui se sont accumulées avant la sortie de ce second opus ait servi et inspiré tout le monde, Hell Hath No Fury est au moins aussi bon que Lord Willin, plus sombre, plus dépouillé dans sa globalité niveau prod et des frères Malice et Pusha ayant encore plus les crocs.
L’album sera encensé par la presse, finira premier de nombreux Top Hip Hop de 2006, qui était une année plutôt solide niveau sortie avec Game Theory de The Roots, le premier album de Lupe Fiasco Food & Liquor, Donuts de feu Dilla, KING de T.I. ou bien encore Fishcale de Ghostface Killah.
Là encore le pari des Neptunes associé aux talents des Clipse fut une pure réussite.
La collaboration avec les Clipse se terminera en 2009 avec Til the Casket Drops, album qui sortira conjointement sur Star Trak mais également le récent label créé par les Clipse, Re Up. Sur les 13 morceaux de l’album, 8 sont des prods des Neptunes mais il n’y a plus le grain de folie, tout le monde sonne pour le coup un peu trop grand public et les Clipse perdent de leur mordant au micro. Il y a tout de même quelques sons sympathiques comme le premier single en featuring avec Kanye, Kinda Like a Big Deal et produit par DJ Khalil ou bien encore un autre single Popular Demand (Popeyes) avec en featuring le MC de Harlem Cam’ron, produit par The Neptunes.
L’album ne convainc pas, le cul entre deux chaises, il est considéré par les fans des deux précédents opus comme une régression certaine, ce que je pense également, c’est de très loin leur moins bon album.
Depuis plus rien concernant les Clipse, Malice est devenu No Malice, s’est converti au christianisme et a mis sa carrière en retrait. Il a tout de même posé deux couplets en 2022, le premier sur la compile de Nigo, I Know Nigo, morceau Punch Bowl et le second sur le dernier album solo de son frère, It’s Almost Dry, morceau I Pray For You.
Pusha lui connait une carrière solo intéressante, entre deux beefs, avec 4 albums très solides.
On ne perd pas espoir de les voir tous se réunir afin de nous proposer un quatrième album des Clipse avec Chad et Pharrell pas loin.
Morceaux du groupe que je préfère :
Grindin’ / Cot Damn / Virginia / Nightmares / Hello New World / Ain’t Cha
Kelis
Kelis de son vrai nom Kelis Rogers-Mora est une artiste dans l’âme, talentueuse dès le plus jeune âge, elle chante dans l’église de sa paroisse, joue rapidement de plusieurs instruments et rejoindra LaGuardia, une école publique de New York spécialisé dans les beaux-arts.
Elle rencontre Chad et Pharrell lorsqu’elle a 18 ans, le duo convaincu du potentiel incroyable de l’artiste pousse Virgin à la signer et propose de suite de produire son premier album : Kaleidoscope.
Un des points la concernant m’ayant toujours frappé, c’est sa nonchalance au micro. Elle pose avec une facilité déconcertante et on a souvent l’impression qu’il y a ce petit côté je m’en foutiste assez dingue, alors que non, elle a toujours démontré un talent incroyable à chaque fois qu’elle pousse sa voix. C’est une sacrée artiste qui à mon sens en 2023 n’a pas les lauriers qu’elle mérite.
Kaleidoscope sera produit entre 1998 et 1999 pour une sortie dans les bacs le 7 décembre 1999.
« C'était une époque où tout le monde, en particulier les femmes artistes noires, était contraint de faire une chose. Je n'ai jamais été doué pour ça de toute façon »
Kaleidoscope est une incroyable révolution pour le RnB de l’époque, l’alchimie entres The Neptunes et Kelis est incroyable, la fraicheur qui se dégage de l’album fait du bien. Il faut replacer les choses dans leur contexte, 1999, le RnB vit peut-être bien la fin de ses grandes années, les années portées par Babyface, Mary J. Blige, Brian Mc Knight, les Boyz II Men et j’en oublie certainement beaucoup mais je ne suis pas là pour tous les citer.
Cet album est la preuve que le mouvement a besoin d’innovation, à mon sens c’est d’ailleurs plus que du RnB mais c’est un autre débat. L’album apportera une fraicheur et sera une immense réussite sur tous les points, en avance sur son temps, toujours aussi bon à écouter en 2024, il met en place les fondations de ce que seront The Neptunes et c’est le premier qu’ils produisent entièrement ! Je l’ai déjà dit mais un morceau comme Caught Out There, nous en avons peu, trop peu par génération et c’est pour ma part Top 10 des meilleurs sons produits par le duo.
Le mot de la fin concernant cet album revient à Kelis qui en parlera en ces termes 20 ans après :
« Cela m'a littéralement cimenté dans l'histoire de la musique pour toujours et je le sais. Cela a changé ma vie et la vie de la musique à cette époque, cela a permis aux filles noires de paraître différentes, de sonner différemment et d'être différentes. C'est devenu une question d'art parce qu'il le fallait. »
Superbe conclusion à mon sens, pleine de sincérité.
Mais Kaleidoscope ne sort pas sur Star Trak, il est encore trop tôt en 1999, le label n’existe pas et tout comme le second LP Wanderland, les deux opus sortiront via Virgin. Sortie en 2001, Wanderland continue d’ailleurs sur la lancée et propose une fois de plus une expérience très bonne, le Neptunes Sound qui fait voyager et tout ce qui va avec, caisse clair, ajout de touche de synthé spatial un peu partout.
« My milkshake brings all the boys to the yard
And they're like, it's better than yours
Damn right it's better than yours
I can teach you, but I have to charge »
Milkshake
Le premier album de Kelis qui sort donc sur Star Trak est Tasty en 2003. Les Neptunes assurent 5 productions sur les 14 morceaux que composent l’album, dont le premier single Milkshake.
Le single qui prouve une fois de plus l’incroyable ingéniosité des Neptunes tout en prouvant que Kelis est une artiste qui n’a cessé de grandir et qui finira sa course troisième du Top US Billboard 100. Ce qui sera la meilleure performance de Kelis pour un single. Milkshake dépassera d’ailleurs le million de vente quelques mois plus tard, ce qui est un sacré chiffre dans une ère qui n’était pas celle du streaming.
La force de cette première sortie sur Star trak, c’est indéniablement qu’en plus de garder les Neptunes non loin d’elle en tant que beatmakers et producteurs exécutifs, Kelis a su s’entourer d’une sacrée armée de producteur pour l’époque : André 3000 d’Outkast, Dallas Austin, Dame Grease, Raphael Saadiq ou bien encore Rockwilder.
Grosse réussite pour le label, plus de 500 000 ventes aux Etats-Unis, quasi 500 000 au Royaume-Uni, c’est de très loin son album qui se vend le mieux. A titre de comparaison Kaleidoscope, c’est 250 000 unités aux US et 150 000 au Royaume-Uni.
Pour terminer sur Kelis, ce sera le seul album qu’elle sortira sur le label. J’aimerai tout de même finir avec un petit point à signaler, récemment lors d’un interview pour the Guardians, Kelis n’a pas hésité à attaquer The Neptunes sur son contrat, elle en a parlé en ses termes :
« On m'a dit que nous allions diviser le tout en 33/33/33 (maison de disque, producteur et elle-même), ce que nous n'avons pas fait, j’ai été trompée et on m’a menti de manière flagrante, les Neptunes et la direction du label ainsi que leurs avocats »
On espère tout de même que la meilleure solution sera trouvée pour l’artiste.
Morceaux préférés :
Caught Out There / Good Stuff / Young Fresh‘N’New / Popular Thug / Milkshake / Flashback
Semaine prochaine : Stark Trak Partie 2, avec du Snoop, du Clones and more.